50e LETTRE AQUEDUC.INFO - MAI 2009
Nos trois devoirs envers l’eau
PHILIPPE ROCH - Nous avons trois devoirs envers l’eau : ne pas la gaspiller, ne pas la polluer, protéger et gérer durablement son cycle entier, en particulier les écosystèmes naturels. Il y a malheureusement peu de projets de développement dans le domaine de l’eau qui tiennent compte de ces trois aspects. C’est seulement lorsque nous aurons assumé ces devoirs qu’il y aura assez d’eau à partager pour les besoins essentiels. Nous pourrons alors légitimement revendiquer un droit à l’eau pour tous.
5 mai 2009
Parlons d’abord du cycle de l’eau. Il y a assez d’eau douce sur terre. La nature est généreuse, et elle nous permet de vivre même dans les régions arides, comme les marges de déserts, pour autant que nous adaptions nos modes d’agriculture et notre consommation aux conditions locales.
J’ai visité en 2006 des paysans au sud de Nairobi, dans une zone semi aride qui connaît 3 mois de pluie et 9 mois de sécheresse. Grâce à des cultures sur buttes, à la gestion annuelle de l’herbe et du foin, à la plantation d’arbres et à la collecte de l’eau de pluie, j’y ai vu des familles paysannes heureuses et des vaches grasses en fin de saison sèche.
Des services écologiques d’une grande valeur économique
Une condition essentielle pour assurer le cycle de l’eau est la conservation et l’entretien des écosystèmes qui permettent de recharger les aquifères (sources, rivières, nappes souterraines) en eau propre. De nombreux exemples montrent à quel point les écosystèmes naturels sont indispensables à la production d’eau propre, et aussi quelle est leur valeur économique.
Au Nigeria, les cultures traditionnelles dans les marais de Hadejia Nguru permettent de produire une valeur de 12 $ par m3 d’eau utilisée, alors que la production dans des systèmes d’irrigation artificiels ne produit que 0,04 $ de riz par m3 d’eau utilisée. Au Costa Rica la ville d’Heredia a inclus dans son tarif de l’eau une taxe pour payer 30 à 50 $ par hectare et par an aux paysans dans le bassin versant des sources pour qu’ils gèrent les sols de manière écologique.
90% de l’eau qui alimente New York provient des Catskill Mountains dans le Delaware. La production est entièrement naturelle, protégée par des forêts et par une exploitation agricole extensive, subventionnée par le prix de l’eau, sur une surface de 5’200 kilomètres carrés. Le responsable de l’agence de l’eau, Michael Principe m’a expliqué que le coût de cette gestion naturelle est 7 fois inférieur au coût que nécessiterait une filtration.
La ville de Bâle approvisionne 166’000 habitants par une recharge de sa nappe phréatique en filtrant l’eau du Rhin sur un sol forestier.
Dans le canton d’Uri, en Suisse centrale, une zone humide de 35 hectares, et la forêt située au-dessus de la ville d’Altdorf fournissent les trois quarts des besoins des habitants avec une eau de source parfaitement pure qui n’a besoin d’aucun traitement.
L’entreprise d’eau minérale Henniez (dans le canton de Vaud) a planté en 20 ans 70’000 arbres, créant une forêt de 200 hectares pour protéger ses sources. On estime que la forêt permet d’économiser en Suisse chaque année plus de 80 millions de francs de traitement de l’eau potable.
Aucune évaluation crédible de la valeur économique des écosystèmes pour la production d’eau douce n’est disponible. Mais une extrapolation de cas connus conduit à des chiffres dépassant les milliers de milliards de dollars par an. Or ces chiffres ne figurent nulle part dans les calculs économiques classiques. Les espaces naturels, tels que forêts, zones humides, réserves naturelles, et les sols exploités de manière écologique garantissent la durabilité de l’approvisionnement en eau de qualité.
Ce sont des services écologiques d’une grande valeur économique. Il faudrait que les populations qui rendent ces services en gérant leur territoire écologiquement reçoivent une contribution financière, afin d’éviter qu’elles soient conduites à dégrader la qualité de ces espaces par une exploitation trop intensive.
Pas de droits sans devoirs
Le droit à l’eau est un concept flou qui cache des luttes idéologiques sur la propriété des ressources en eau, mais qui occulte complètement la question essentielle, celle de nos devoirs envers l’eau, car il n’existe aucun droit qui ne soit associé à un devoir. Nous avons trois devoirs envers l’eau :
Ne pas la gaspiller, dans nos vies quotidiennes, même lorsqu’elle est abondante, mais aussi en limitant l’irrigation des cultures agricoles qui utilisent 80 à 90 % de l’eau consommée dans le monde.
Ne pas la polluer. Les principaux polluants sont les engrais, les pesticides, les décharges et les micropolluants chimiques que nous utilisons dans notre vie quotidienne. Il faut interdire les produits chimiques qui ne se dégradent pas entièrement, promouvoir une agriculture biologique et remettre en question le déversement dans l’eau de nos déjections, qui peuvent très bien être compostées.
Protéger et gérer durablement le cycle entier de l’eau. L’eau tombe du ciel, généreusement, mais elle a besoin d’être accueillie avec douceur sur des sols sains pour être filtrée, stockée et redistribuée régulièrement. Les déforestations, le surpâturage, l’assèchement des zones humides et l’agriculture intensive ont rompu le cycle de l’eau.
C’est seulement lorsque nous aurons assumé ces devoirs qu’il y aura assez d’eau à partager pour les besoins essentiels. Nous pourrons alors légitimement revendiquer un droit à l’eau pour tous.