Philippe Roch
Développement Durable
Crise financière
A chacun son métier
Les dirigeants des Etats industrialisés ont été capables en quelques semaines de débloquer des sommes astronomiques pour soutenir à bout de bras une économie virtuelle qui s’écroule sur elle-même ? Cet interventionnisme étatique est en contradiction totale avec l’idéologie assénée depuis des décennies par les mêmes milieux dont le néolibéralisme prétend pouvoir se passer de l’Etat et compter sur le mythe de la main invisible inventé au XVIIIe siècle par Adam Smith pour que l’addition des égoïsmes individuels serve l’intérêt général. En cas de crise ils font pourtant appel à l’argent public, tout en affirmant que la banque n’est pas le métier de l’Etat. Quand il y a des milliards à gagner, on n’est pas à une contradiction près !
Le malheur veut que pour financer l’opération et relancer la machine, on est prêt à sacrifier les modestes progrès faits ces dernières années pour préserver notre capital le plus précieux, celui de la vie, de la nature, de l’environnement. L’Union européenne parle de réduire les objectifs de la politique climatique, et le Département des finances fait encore pression sur les maigres budgets de la protection de l’environnement. Or l’urgence est bien davantage de ce côté. Puisque la main publique est capable de dégager tant d’argent, qu’elle fasse son métier comme le lui demandent les banquiers et qu’elle investisse dans le développement des technologies douces, de l’énergie solaire, des transports publics, dans la protection et la restauration des paysages et de la nature, dans le cycle de l’eau et dans une agriculture multifonctionnelle, productrice de nourriture et de beauté. C’est là qu’il faut mettre l’argent public, et non pas dans le prochain grand casino des banques d’affaire.
Moins bons que des microbes?
La paramécie est un organisme unicellulaire qui mesure un dixième de millimètre. Elle vit dans l'eau stagnante et sert de nourriture aux alevins de tout petits poissons. Elle se reproduit par division cellulaire à la vitesse de trois ou quatre fois par jour. Une paramécie qui n'aurait pas d'ennemis, et une place illimitée, produirait une tonne de descendants en quinze jours. Sa descendance atteindrait la masse de la Terre en un mois. Incroyable, pour une si petite bête. La nature fait en sorte que cela n'arrive pas, et la paramécie est en équilibre avec l'eau et la nourriture disponibles et ses prédateurs. Ses populations fluctuent, mais elles ne détruiront jamais la planète.
Ne sommes-nous pas plus raisonnables que des paramécies ? Pourtant beaucoup d'entre nous pensent que l'humanité et ses activités économiques doivent croître sans fin. Toujours plus nombreux, toujours plus. Pourtant nous savons bien que les ressources et l'espace sont limités : les forêts tropicales disparaissent, le cycle de l'eau est perturbé, de nombreuses espèces sont menacées, les ressources dont nous dépendons s'épuisent. Nous nous entassons dans un monde appauvri. Pourquoi avons-nous tant de peine à changer d'objectifs, à vivre mieux avec moins, à stabiliser puis réduire la population humaine, à mieux partager pour ne pas gaspiller et à renoncer à certains comportements absurdes (nous pouvons facilement en dresser une liste personnelle) ? Si nous ne le décidons pas nous-mêmes, c'est la nature qui nous l'imposera, brutalement.
Croissance
La croissance pose la question des limites. Jusqu'où est-il possible de croître sans épuiser les ressources et sans détruire la biosphère ?
La pression de la société industrielle est déjà mesurable : augmentation de 30% du gaz carbonique contenu dans l'atmosphère, 2/3 des écosystèmes sont surexploités, et il faudrait 3 Planètes pour que l'ensemble de l'humanité puisse vivre au niveau des Suisses, ou 7 pour vivre au niveau des USA.
Il faut donc inventer un autre système économique qui permette de satisfaire les besoins essentiels de tous, tout en réduisant la pression sur la nature. Il faut aussi stabiliser la population humaine à un niveau qui permette un juste partage des biens sans destruction des ressources.
La nature nous offre un modèle idéal. Elle fonctionne à 100% à l'énergie solaire et géothermique, produit chaque année des milliards de tonnes de bois, d'eau douce, de poissons, de viande, de plantes, de médicaments, d'oxygène, sans croissance globale et sans aucun déchet qui ne soit immédiatement recyclé. Et ceci depuis des millions d'années. Ce fonctionnement optimal de la nature repose sur des qualités essentielles que nous ferions bien d'imiter : la diversité, la complémentarité et l'équilibre dynamique entre tous les êtres vivants.
Pas de miracle
Lorsque je propose des mesures de protection de l'environnement, j'entends souvent cette phrase : inutile de se faire du souci pour l'avenir, de toutes façons l'homme s'en est toujours sorti.
C'est faux.
Chaque fois qu'une civilisation est arrivée à une limite des ressources disponibles, soit elle a subi des famines et des épidémies, soit elle est allée chercher ce qu'il lui manque chez d'autres. L'histoire est jonchée de souffrances et de cadavres justement parce que l'homme ne sait pas comment s'en sortir et qu'au lieu de se réguler, il vole et il massacre.
Les conquêtes romaines, puis les invasions barbares, les croisades, les famines, la guerre de cent ans, puis celle de 30 ans, les horreurs de la colonisation et de l'esclavage, les guerres du XXe siècle, l'Irak, le Darfour sont toutes des luttes pour la maîtrise de ressources.
Si nous voulons éviter de répéter les massacres de l'histoire et assurer un épanouissement de nos sociétés humaines, dans un projet de développement durable, nous devons adapter nos besoins à la capacité de la nature à les couvrir. Cela n'arrivera pas par miracle. Il faut prendre des décisions pour développer des technologies économes en énergie et en ressources, prendre des mesures pour réduire nos pollutions et notre consommation, et mieux partager. Sans quoi le ciel nous tombera sur la tête et nous recommencerons à nous battre les uns contre les autres.
Birmanie
Afin de soulager la souffrance humaine. Malheureusement la chaîne du bonheur redistribue très sélectivement l'argent reçu pour apporter des soins et de la nourriture, et reconstruire des infrastructures ; rien, pas un centime n'est attribué à la lutte contre les causes premières de ces catastrophes. On laisse ainsi les populations à la merci du prochain cyclone. Puisque la chaîne du bonheur jouit d'une quasi exclusivité d'accès aux media, il conviendrait d'édicter des règles qui l'obligent à consacrer une part importante des fonds récoltés à la prévention des futures catastrophes, en soutenant des programmes contre la destruction des forêts, contre la croissance démographique par l'éducation et le développement, contre les élevages intensifs de poissons qui déstabilisent les écosystèmes côtiers et fluviaux et polluent les eaux, en faveur d'une pêche durable, pour l'agriculture biologique et contre les changements climatiques.
Puisque la chaîne du bonheur ne le fait pas, soutenez aussi d'autres organisations, comme le WWF (CCP 80-470-3), l'UICN (CCP 10-22605-3), ou Greenpeace (CCP 80-6222-8) qui luttent dans la durée pour résoudre les problèmes à la racine.
Economie fragile
La tourmente boursière et les faillites de grandes compagnies financières nous montrent qu'un système économique virtuel, dirigé par une frénésie spéculative, est aussi fragile qu'une bulle de savon. Le malheur qui frappe cette économie virtuelle à court terme menace à plus long terme l'économie matérielle, parce qu'elle aussi repose sur une fiction.
En effet nous calculons encore le PIB et la santé des entreprises en fonction de l'activité de production, des carnets de commandes, du chiffre d'affaire, et du bénéfice financier mais sans tenir compte de la diminution du capital nature et des flux déficitaires des ressources naturelles, qui sont pourtant la base de toute l'économie.
La crise actuelle nous incite à revenir à une économie plus proche de la réalité matérielle. Si nous voulons éviter une grande crise économique planétaire, il faut faire un pas supplémentaire et comptabiliser le capital nature, qui produit l'air, l'eau, la nourriture, la diversité biologique, la stabilité des sols et du climat. Une économie industrielle qui se nourrit d'un capital sans tenir compte de son épuisement nous conduit à la plus grande crise économique que l'humanité n'aura jamais connue auparavant et nous fera retourner à l'âge des cavernes.
Il est vital, que l'économie du futur s'inspire de la nature et qu'elle incorpore la préservation des écosystèmes et la gestion durable des ressources naturelles, car la seule entreprise qui se soit développée et diversifiée pendant des millénaires sans jamais fait faillite, c'est la nature.
Relance
Sommes-nous certains de vouloir relancer la machine économique telle qu'elle fonctionnait il y a encore quelques mois ? A vouloir sauver un système qui s'est trompé, nous ne faisons que préparer la prochaine crise.
Nous avons un devoir de solidarité envers celles et ceux qui souffrent de la débâcle actuelle, mais ayons le courage de voir que beaucoup d'emplois sont inutiles, voire nuisibles : les financiers qui jonglent avec des valeurs virtuelles ne produisent rien d'utile, certains constructeurs d'automobiles n'ont pas prévu que leurs dinosaures sont inadaptés à l'épuisement du pétrole et les compagnies de transports qui nous amènent des agneaux néozélandais et des asperges californiennes créent une concurrence déloyale envers une agriculture locale écologique.
Au lieu de mettre sous perfusion des entreprises dont les activités ne répondent pas à nos besoins, créons des conditions favorables au développement d'une économie utile et durable.
En Suisse cela signifierait par exemple de modifier la loi sur l'électricité pour supprimer la limite du nombre d'installations photovoltaïques dont le courant est pris en charge par les distributeurs, de maintenir une agriculture vivante pour 60'000 familles paysannes au lieu de les réduire comme prévu à 30'000, de développer des transports publics avec du matériel produit régionalement et du personnel en suffisance et de favoriser des automobiles légères, nourries à l'énergie solaire comme celle que projette Nicolas Hayek.
Malheureusement le Conseil fédéral n'a prévu aucune de ces mesures dans son plan de relance.
Moins bons que des microbes ?
La paramécie est un organisme unicellulaire qui mesure un dixième de millimètre. Elle vit dans l'eau stagnante et sert de nourriture aux alevins de tout petits poissons. Elle se reproduit par division cellulaire à la vitesse de trois ou quatre fois par jour. Une paramécie qui n'aurait pas d'ennemis, et une place illimitée, produirait une tonne de descendants en quinze jours. Sa descendance atteindrait la masse de la Terre en un mois. Incroyable, pour une si petite bête. La nature fait en sorte que cela n'arrive pas, et la paramécie est en équilibre avec l'eau et la nourriture disponibles et ses prédateurs. Ses populations fluctuent, mais elles ne détruiront jamais la planète.
Ne sommes-nous pas plus raisonnables que des paramécies ? Pourtant beaucoup d'entre nous pensent que l'humanité et ses activités économiques doivent croître sans fin. Toujours plus nombreux, toujours plus. Pourtant nous savons bien que les ressources et l'espace sont limités : les forêts tropicales disparaissent, le cycle de l'eau est perturbé, de nombreuses espèces sont menacées, les ressources dont nous dépendons s'épuisent. Nous nous entassons dans un monde appauvri. Pourquoi avons-nous tant de peine à changer d'objectifs, à vivre mieux avec moins, à stabiliser puis réduire la population humaine, à mieux partager pour ne pas gaspiller et à renoncer à certains comportements absurdes (nous pouvons facilement en dresser une liste personnelle) ? Si nous ne le décidons pas nous-mêmes, c'est la nature qui nous l'imposera, brutalement.
Croissance ou décroissance
Croissance ou décroissance
Une alternative erronée et délétère
Philippe Roch *
Les crises qui se succèdent depuis 2007 nous laissent perplexes. Les Etats et l’économie sont devenus dépendants de la croissance, un concept erroné, qui ne tient pas compte des limites du système : la croissance entraîne l’épuisement des ressources naturelles, la pollution de l’environnement, la destruction de la biodiversité, et des disparités sociales criantes : durant les 20 dernières années, l’écart entre riches et pauvres et la précarité ont augmenté dans ¾ des pays de l’OCDE.
Faut-il dès lors prôner la décroissance ?
Dans le monde économique actuel, la croissance et la décroissance se mesurent en référence au produit intérieur brut (PIB), un indicateur comptable des flux financiers (dépenses de consommation, dépenses publiques, exportations nettes et investissements). Le PIB est une méthode mathématique qui ne couvre qu’une petite partie de la réalité économique. Prenons l’exemple d’un arbre fruitier dans votre jardin. Il produit d’excellents fruits, protège et enrichit le sol, fait vivre de nombreux oiseaux et contribue à la beauté de votre quartier. Il n’entre dans le PIB qu’au moment où vous tombez de l’échelle et que vous êtes pris en charge par les services de secours.
Tant que nous restons dans la logique du PIB, nous somme piégés dans l’alternative croissance – décroissance. Dans ce contexte la décroissance provoque des situations intolérables, car elle entraîne le chômage, la baisse des recettes fiscales, l’impossibilité de rembourser les dettes publiques et privées, l’augmentation des charges sociales, la précarité, l’instabilité. Pour sortir de cette alternative délétère il faut inventer un nouveau projet économique, une prospérité sans croissance.
Beaucoup d’activités économiques n’ont pas ou peu d’incidence financière (bénévolat, entraide, travail domestique, jardinage, bricolage), ou ne peuvent être réduites à des questions purement financières, qui ont pourtant une forte influence sur le marché : la confiance, le plaisir d’aller au travail, la responsabilité, l’éthique. Ces valeurs n’entrent pas actuellement dans le calcul du PIB. L’économie elle-même ne couvre qu’une petite partie des activités humaines, et l’humanité est une toute petite partie de la nature, dont elle dépend pour sa survie et pour son économie.
L’extraordinaire dynamisme de l’ensemble de la nature est en phase stationnaire. Les 10 millions de milliards de fourmis qui vivent sur la planète, dont le poids est supérieur au poids des humains, nous donnent un parfait exemple de société écologique. Elles mangent davantage que nous et déplacent des montagnes, mais elles ne laissent aucun déchet qui ne soit immédiatement absorbé par la nature. Nos cousines ont développé une activité économique mondialisée, d’une dimension équivalente à celle des humains, sans qu’elle aboutisse aux destructions qui caractérisent la civilisation industrielle.
Croissance et prospérité n’ont pas la même signification ; les éléments constitutifs de la croissance (matérialisme, consommation, accumulation, compétition, paraître, besoins relatifs) sont même souvent contraires à la prospérité (épanouissement, autonomie, acceptation sociale, solidarité, espace et temps libres). La prospérité n’est pas que matérielle ; elle a à faire avec le sens de la vie, avec des dimensions qui nous dépassent, des valeurs qui nous soutiennent. Une prospérité écologique recherche l’équilibre, l’épanouissement, le bien-être, plutôt qu’une croissance illusoire et destructrice.
Il est possible d’amorcer immédiatement, progressivement ce changement, par une transition écologique. L’activité économique devrait être mesurée avec des instruments qui tiennent compte de l’ensemble des ressources naturelles et humaines dont elle dépend, dans l’esprit du Bonheur national brut inventé par le Bhoutan. Elle pourra être mieux maîtrisée par une internalisation des coûts externes (taxe préalable d’élimination, taxes sur l’énergie et le CO2), la transparence des origines et des modes de production, la responsabilisation des Conseils d’administration quant aux conséquences écologiques de leurs décisions (le cas Eternit en Italie ouvre une voie), des structures économiques plus proches des citoyens (davantage de pouvoir aux assemblées d’actionnaires, des voix critiques dans les conseils d’administration), et la lutte contre le dumping environnemental et social grâce à des normes internationales et à la discrimination des produits à la frontière pour favoriser les modes de production responsables.
Dans le domaine technique desproductions peuvent être florissantes en état stationnaire, commel’installation de panneaux solaires (le soleil envoie en une heure sur la surface de la terre autant d’énergie que tout ce que l’humanité consomme en un an), l’isolation thermique des bâtiments avec des matériaux naturels (pas de fenêtres en PVC !), une agriculture biologique, le maintien des écosystèmes générateurs d’eau et d’air purs, et des productions industrielles cent pour cent recyclables. La collectivité doit veiller à la transmission par l’éducation et les media des valeurs civiques (respect, solidarité, coopération, humilité, sobriété, joie de vivre), et imposer un cadre moral à la publicité.Il est possible de commencer par nous-mêmes, dans nos achats, nos activités, notre mobilité, en nous exprimant, en témoignant, en votant, et en rayonnant notre joie de vivre dans la simplicité.
Il vaut mieux s’y mettre avant que la nature nous impose un changement brutal, ou élimine la moitié de la population par une bonne grippe. D’ailleurs la situation difficile que connait l’Europe suscite unretour à la terre (en Grèce), à la communauté (en Espagne) pour survivre à la crise, et une multiplication d’expériences collectives autonomes (SEL) pour sortir du cercle infernal de la croissance, de l’endettement et de la dépendance. Ces expériences, qui concernent tant les régions rurales que les villes (éco-quartiers), sont annonciatrices de nouveaux modes de vie plus sobres, plus simples, plus heureux, prémices d’une prospérité écologique.
*Philippe Roch, Dr en biochimie, est l’ancien directeur de l’Office fédéral de l’environnement, des forêts et du paysage.
Paru dans le journal Le Temps du 3 septembre 2012, p. 11
Esprit de Rio, où es-tu ?
Esprit de Rio, où es-tu ?
Philippe Roch[i]
Le Sommet de la Terre de 1992 avait marqué un tournant pour l’environnement : les Etats acceptaient de se retrousser les manches pour œuvrer au développement durable. Le bilan est très mitigé. Et le sommet qui s’ouvre dans une semaine affichera des ambitions bien plus modestes.
En rassemblant les Chefs d’Etat et de gouvernement du monde entier autour du projet de développement durable, le Sommet de la Terre de 1992 a marqué un tournant historique dans les politiques de l’environnement, de l’économie et du développement. Vingt ans plus tard, à quelques jours de l’ouverture de la Conférence internationale sur le développement durable, Rio + 20, que reste-t-il de Rio 92 ?
Jamais auparavant on n’avait aussi clairement compris que la protection de l’environnement, une économie florissante et une répartition équitable des ressources sont les trois conditions liées d’une prospérité durable. Le développement durable, défini par la Commission mondiale sur l’environnement et le développement, qui a travaillé à Genève entre 1983 et 1987, comme « un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs » est un concept assez flou pour permettre une convergence entre points de vue au départ très éloignés. Pour beaucoup Rio fut une révélation, qui a généré un esprit neuf et enthousiaste. Le succès historique du Sommet de la Terre doit beaucoup à l’engagement des mille cinq cents organisations non gouvernementales, qui ont conduit un forum parallèle auquel ont participé dix-sept mille personnes, à la participation d’éminents représentants de compagnies privées, et à la personnalité exceptionnelle de Maurice Strong, homme d’affaires canadien, premier directeur du programme des Nations-Unies pour l’environnement, humaniste et pionnier de l’écologie mondiale, incarnation vivante du développement durable, qui a présidé à la préparation et au déroulement du Sommet.
Le Sommet de la Terre a adopté l’agenda 21, quarante chapitres qui couvrent les principaux enjeux de nos sociétés : lutte contre la pauvreté, modes de consommation, démographie, santé, climat, agriculture, forêts, diversité biologique, gestion de l’eau, chimie, déchets, gouvernance et démocratie. Beaucoup avec moi ont espéré que Rio 92 initierait un changement de paradigme, de nouvelles priorités politiques et économiques, plus équilibrées, moins destructrices de ressources, plus justes. Il y a bien eu un début dans ce sens, avec les Conventions sur la biodiversité et sur le climat signées à Rio et le Fonds pour l’environnement mondial, qui finance à raison de cinq cents millions de dollars par an des projets dans les domaines des conventions environnementales. En Suisse la collaboration entre les offices fédéraux de l’économie, de l’environnement, des infrastructures et du développement s’est intensifiée. C’est dans cet esprit que j’ai pu préparer la loi sur le CO2, en collaboration avec le Vorort (aujourd’hui économie suisse), et que nous sommes allés à Kyoto (1997), puis à Marrakech (2001), pour arracher les premiers éléments de la mise en œuvre de la Convention sur le climat. Mais il a vite fallu déchanter. Aujourd’hui Kyoto est mort, et la Convention sur le climat à l’arrêt, pendant que les émissions de gaz à effet de serre ne cessent d’augmenter, et que la diversité biologique régresse sous la pression des déforestations, de la désertification, des pollutions, de l’agriculture intensive et de la surexploitation des mers. Les objectifs du millénaire de l’Assemblée générale de l’ONU, en 2000, puis la conférence de Johannesburg en 2002, n’ont fait que répéter, d’une manière édulcorée, les objectifs adoptés en 1992. Certains peuvent penser que cela est dû au fait que les questions environnementales étant mieux intégrées dans les autres politiques, ce qui était nouveau en 1992 est devenu la règle. Il suffit d’observer les programmes politiques actuels, et la récente campagne présidentielle française, pour constater que la question du développement durable n’est plus du tout prioritaire. Les difficultés financières dans lesquelles une économie néolibérale et des gouvernements se sont empêtrés ont rappelé les vieilles recettes de la croissance du produit intérieur brut (PIB), en oubliant que la justice sociale, la nature, les écosystèmes et l’environnement sont le fondement de toute prospérité durable
La conférence Rio + 20 annonce dès le départ des objectifs modestes[ii]. Il ne s’agit plus de répondre aux grands défis qui guettent la planète, ni de proposer un changement de paradigme pour rétablir un équilibre entre l’humanité et la nature. L’économie verte que la Conférence espère promouvoir consiste à développer des techniques efficaces et renouvelables, et à créer des emplois dits verts. Le projet de résolution réaffirme les principes généraux inlassablement répétés depuis 1992, sans aucune ambition nouvelle. Sans négliger l’importance d’améliorer les techniques pour produire autant, ou davantage, en consommant moins de ressources et d’énergie, il faut constater que tout progrès technique s’accompagne d’une augmentation de la consommation, largement promue par les politiques économiques (consommez plus pour relancer l’économie et l’emploi !), et que cet effet rebond conduit finalement à une consommation supplémentaire de ressources, à des émissions augmentées de gaz carbonique, de particules fines et de produits chimiques, à une dégradation de la nature et une perte de biodiversité.
Il ne s’agit donc pas de bouder Rio + 20, mais il faut être conscient que même si elle est un succès, cette conférence n’amorcera pas les changements profonds dont notre société a besoin pour atteindre les objectifs du développement durable : la satisfaction des besoins essentiels, l’épanouissement des sociétés, le partage, sans dégradation de l’environnement. Cet objectif suppose des changements profonds, une véritable transition écologique, incompatible avec la fuite en avant que provoque l’idéologie de croissance économique et démographique continue qui domine aujourd’hui.
[i]Philippe Roch, docteur en biochimie, a été le directeur de l’Office fédéral de l’environnement, des forêts et du paysage de 1992 à 2005. Il a fait partie de la délégation suisse à Rio en 1992, avec le Conseiller fédéral Flavio Cotti.
Paru dans le Journal Le Temps, le 12 juin 2012, p. 12
Philippe Roch, Dr ès sc.
Curriculum vitae
Philippe Roch est originaire de Lancy (canton de Genève), où il est né le 13 septembre 1949. Docteur en biochimie (Université de Genève - 1977), il s'est engagé très tôt pour la protection de la nature et de l'environnement. Membre du parti démocrate chrétien, il a été conseiller municipal de la commune de Lancy de 1971 à 1973 et député au Grand Conseil de la République et canton de Genève de 1973 à 1981. Il a été successivement responsable romand du WWF puis membre de la direction nationale du WWF Suisse jusqu'en 1992. Le Conseil fédéral l'a nommé directeur de l'Office fédéral de l'environnement, des forêts et du paysage (OFEFP) en 1992. Après 13 ans passés à la tête de l'office, Philippe Roch a quitté ses fonctions à fin septembre 2005.
Sur le plan national, outre la responsabilité générale de l'office, Philippe Roch s'est particulièrement engagé pour la mise en oeuvre de la loi sur la réduction des émissions de CO2, le développement de la législation sur le génie génétique, la mise au point de labels de certification pour les forêts suisses, la conservation des marais et paysages marécageux, comme ceux de la rive sud du lac de Neuchâtel et la protection des espèces menacées comme le lynx. M. Roch a également été membre du Comité de pilotage Recherche, qui coordonne et planifie la recherche dans l'administration fédérale.
Au niveau international, Philippe Roch a représenté la Suisse dans les négociations internationales environnementales avec le titre de secrétaire d'État. Il s'est notamment engagé dans les domaines de la biodiversité, du climat, des déchets, des produits chimiques et de l'eau et pour le renforcement du PNUE et de la gouvernance environnementale mondiale ainsi que pour la responsabilité civile pour les dégâts causés à l'environnement. M. Roch était membre et deux fois co-président du Conseil d'administration du Fonds pour l'environnement mondial (FEM/GEF). Il a fait partie du Conseil d'administration de l'Institut des Nations Unies pour la formation et la recherche (UNITAR), dont il est depuis 2005 Senior Special Fellow. Il a également été président de la Conférence des Parties à la Convention de Bâle (1999-2002) et de la Conférence des parties à la Convention de Rotterdam (2004-2005). Il est membre du Conseil de fondation et du bureau du GCSP (Geneva Center for Security Policy).
Philippe Roch travaille actuellement comme consultant indépendant dans le domaine de l'environnement. Il est membre du Conseil de la Fondation Hainard, de la Fondation Pro Specie Rara, de la Station ornithologique de Sempach, de la Fondation Salvia, de la Fondation Addax & Oryx, de la Fondation Franz Weber et de l'association Helvetia Nostra. Philippe Roch est membre du conseil scientifique du certificat de formation continue en développement durable à l'Université de Genève, et il collabore avec l'Institut de politiques territoriales et d'environnement humain à l'université de Lausanne. Il consacre une grande partie de son temps à la recherche, à l'écriture et à la communication sur les questions écologiques, philosophiques et spirituelles. Il est membre du Comité d'éthique et de déontologie de l'Université de Genève.
Philippe Roch a reçu le 30 mai 2008 un doctorat en géosciences et environnement honoris causa de l'Université de Lausanne "pour son apport à la prise de conscience environnementale et au développement des connaissances en ce domaine en Suisse et à l'étranger, pour son humanité et son non-conformisme éclairé".
Rencontres avec Philippe Roch
Biographie
Biographie détaillée
Textes & Publications
Philosophie & Spiritualité
Biodiversité
Climat & Energie
Environnement Suisse
Environnement Mondial
Eau
OGM
Développement durable
Développement Durable
Crise financière
A chacun son métier
Les dirigeants des Etats industrialisés ont été capables en quelques semaines de débloquer des sommes astronomiques pour soutenir à bout de bras une économie virtuelle qui s’écroule sur elle-même ? Cet interventionnisme étatique est en contradiction totale avec l’idéologie assénée depuis des décennies par les mêmes milieux dont le néolibéralisme prétend pouvoir se passer de l’Etat et compter sur le mythe de la main invisible inventé au XVIIIe siècle par Adam Smith pour que l’addition des égoïsmes individuels serve l’intérêt général. En cas de crise ils font pourtant appel à l’argent public, tout en affirmant que la banque n’est pas le métier de l’Etat. Quand il y a des milliards à gagner, on n’est pas à une contradiction près !
Le malheur veut que pour financer l’opération et relancer la machine, on est prêt à sacrifier les modestes progrès faits ces dernières années pour préserver notre capital le plus précieux, celui de la vie, de la nature, de l’environnement. L’Union européenne parle de réduire les objectifs de la politique climatique, et le Département des finances fait encore pression sur les maigres budgets de la protection de l’environnement. Or l’urgence est bien davantage de ce côté. Puisque la main publique est capable de dégager tant d’argent, qu’elle fasse son métier comme le lui demandent les banquiers et qu’elle investisse dans le développement des technologies douces, de l’énergie solaire, des transports publics, dans la protection et la restauration des paysages et de la nature, dans le cycle de l’eau et dans une agriculture multifonctionnelle, productrice de nourriture et de beauté. C’est là qu’il faut mettre l’argent public, et non pas dans le prochain grand casino des banques d’affaire.
Moins bons que des microbes?
La paramécie est un organisme unicellulaire qui mesure un dixième de millimètre. Elle vit dans l'eau stagnante et sert de nourriture aux alevins de tout petits poissons. Elle se reproduit par division cellulaire à la vitesse de trois ou quatre fois par jour. Une paramécie qui n'aurait pas d'ennemis, et une place illimitée, produirait une tonne de descendants en quinze jours. Sa descendance atteindrait la masse de la Terre en un mois. Incroyable, pour une si petite bête. La nature fait en sorte que cela n'arrive pas, et la paramécie est en équilibre avec l'eau et la nourriture disponibles et ses prédateurs. Ses populations fluctuent, mais elles ne détruiront jamais la planète.
Ne sommes-nous pas plus raisonnables que des paramécies ? Pourtant beaucoup d'entre nous pensent que l'humanité et ses activités économiques doivent croître sans fin. Toujours plus nombreux, toujours plus. Pourtant nous savons bien que les ressources et l'espace sont limités : les forêts tropicales disparaissent, le cycle de l'eau est perturbé, de nombreuses espèces sont menacées, les ressources dont nous dépendons s'épuisent. Nous nous entassons dans un monde appauvri. Pourquoi avons-nous tant de peine à changer d'objectifs, à vivre mieux avec moins, à stabiliser puis réduire la population humaine, à mieux partager pour ne pas gaspiller et à renoncer à certains comportements absurdes (nous pouvons facilement en dresser une liste personnelle) ? Si nous ne le décidons pas nous-mêmes, c'est la nature qui nous l'imposera, brutalement.
Croissance
La croissance pose la question des limites. Jusqu'où est-il possible de croître sans épuiser les ressources et sans détruire la biosphère ?
La pression de la société industrielle est déjà mesurable : augmentation de 30% du gaz carbonique contenu dans l'atmosphère, 2/3 des écosystèmes sont surexploités, et il faudrait 3 Planètes pour que l'ensemble de l'humanité puisse vivre au niveau des Suisses, ou 7 pour vivre au niveau des USA.
Il faut donc inventer un autre système économique qui permette de satisfaire les besoins essentiels de tous, tout en réduisant la pression sur la nature. Il faut aussi stabiliser la population humaine à un niveau qui permette un juste partage des biens sans destruction des ressources.
La nature nous offre un modèle idéal. Elle fonctionne à 100% à l'énergie solaire et géothermique, produit chaque année des milliards de tonnes de bois, d'eau douce, de poissons, de viande, de plantes, de médicaments, d'oxygène, sans croissance globale et sans aucun déchet qui ne soit immédiatement recyclé. Et ceci depuis des millions d'années. Ce fonctionnement optimal de la nature repose sur des qualités essentielles que nous ferions bien d'imiter : la diversité, la complémentarité et l'équilibre dynamique entre tous les êtres vivants.
Pas de miracle
Lorsque je propose des mesures de protection de l'environnement, j'entends souvent cette phrase : inutile de se faire du souci pour l'avenir, de toutes façons l'homme s'en est toujours sorti.
C'est faux.
Chaque fois qu'une civilisation est arrivée à une limite des ressources disponibles, soit elle a subi des famines et des épidémies, soit elle est allée chercher ce qu'il lui manque chez d'autres. L'histoire est jonchée de souffrances et de cadavres justement parce que l'homme ne sait pas comment s'en sortir et qu'au lieu de se réguler, il vole et il massacre.
Les conquêtes romaines, puis les invasions barbares, les croisades, les famines, la guerre de cent ans, puis celle de 30 ans, les horreurs de la colonisation et de l'esclavage, les guerres du XXe siècle, l'Irak, le Darfour sont toutes des luttes pour la maîtrise de ressources.
Si nous voulons éviter de répéter les massacres de l'histoire et assurer un épanouissement de nos sociétés humaines, dans un projet de développement durable, nous devons adapter nos besoins à la capacité de la nature à les couvrir. Cela n'arrivera pas par miracle. Il faut prendre des décisions pour développer des technologies économes en énergie et en ressources, prendre des mesures pour réduire nos pollutions et notre consommation, et mieux partager. Sans quoi le ciel nous tombera sur la tête et nous recommencerons à nous battre les uns contre les autres.
Birmanie
Afin de soulager la souffrance humaine. Malheureusement la chaîne du bonheur redistribue très sélectivement l'argent reçu pour apporter des soins et de la nourriture, et reconstruire des infrastructures ; rien, pas un centime n'est attribué à la lutte contre les causes premières de ces catastrophes. On laisse ainsi les populations à la merci du prochain cyclone. Puisque la chaîne du bonheur jouit d'une quasi exclusivité d'accès aux media, il conviendrait d'édicter des règles qui l'obligent à consacrer une part importante des fonds récoltés à la prévention des futures catastrophes, en soutenant des programmes contre la destruction des forêts, contre la croissance démographique par l'éducation et le développement, contre les élevages intensifs de poissons qui déstabilisent les écosystèmes côtiers et fluviaux et polluent les eaux, en faveur d'une pêche durable, pour l'agriculture biologique et contre les changements climatiques.
Puisque la chaîne du bonheur ne le fait pas, soutenez aussi d'autres organisations, comme le WWF (CCP 80-470-3), l'UICN (CCP 10-22605-3), ou Greenpeace (CCP 80-6222-8) qui luttent dans la durée pour résoudre les problèmes à la racine.
Economie fragile
La tourmente boursière et les faillites de grandes compagnies financières nous montrent qu'un système économique virtuel, dirigé par une frénésie spéculative, est aussi fragile qu'une bulle de savon. Le malheur qui frappe cette économie virtuelle à court terme menace à plus long terme l'économie matérielle, parce qu'elle aussi repose sur une fiction.
En effet nous calculons encore le PIB et la santé des entreprises en fonction de l'activité de production, des carnets de commandes, du chiffre d'affaire, et du bénéfice financier mais sans tenir compte de la diminution du capital nature et des flux déficitaires des ressources naturelles, qui sont pourtant la base de toute l'économie.
La crise actuelle nous incite à revenir à une économie plus proche de la réalité matérielle. Si nous voulons éviter une grande crise économique planétaire, il faut faire un pas supplémentaire et comptabiliser le capital nature, qui produit l'air, l'eau, la nourriture, la diversité biologique, la stabilité des sols et du climat. Une économie industrielle qui se nourrit d'un capital sans tenir compte de son épuisement nous conduit à la plus grande crise économique que l'humanité n'aura jamais connue auparavant et nous fera retourner à l'âge des cavernes.
Il est vital, que l'économie du futur s'inspire de la nature et qu'elle incorpore la préservation des écosystèmes et la gestion durable des ressources naturelles, car la seule entreprise qui se soit développée et diversifiée pendant des millénaires sans jamais fait faillite, c'est la nature.
Relance
Sommes-nous certains de vouloir relancer la machine économique telle qu'elle fonctionnait il y a encore quelques mois ? A vouloir sauver un système qui s'est trompé, nous ne faisons que préparer la prochaine crise.
Nous avons un devoir de solidarité envers celles et ceux qui souffrent de la débâcle actuelle, mais ayons le courage de voir que beaucoup d'emplois sont inutiles, voire nuisibles : les financiers qui jonglent avec des valeurs virtuelles ne produisent rien d'utile, certains constructeurs d'automobiles n'ont pas prévu que leurs dinosaures sont inadaptés à l'épuisement du pétrole et les compagnies de transports qui nous amènent des agneaux néozélandais et des asperges californiennes créent une concurrence déloyale envers une agriculture locale écologique.
Au lieu de mettre sous perfusion des entreprises dont les activités ne répondent pas à nos besoins, créons des conditions favorables au développement d'une économie utile et durable.
En Suisse cela signifierait par exemple de modifier la loi sur l'électricité pour supprimer la limite du nombre d'installations photovoltaïques dont le courant est pris en charge par les distributeurs, de maintenir une agriculture vivante pour 60'000 familles paysannes au lieu de les réduire comme prévu à 30'000, de développer des transports publics avec du matériel produit régionalement et du personnel en suffisance et de favoriser des automobiles légères, nourries à l'énergie solaire comme celle que projette Nicolas Hayek.
Malheureusement le Conseil fédéral n'a prévu aucune de ces mesures dans son plan de relance.
Moins bons que des microbes ?
La paramécie est un organisme unicellulaire qui mesure un dixième de millimètre. Elle vit dans l'eau stagnante et sert de nourriture aux alevins de tout petits poissons. Elle se reproduit par division cellulaire à la vitesse de trois ou quatre fois par jour. Une paramécie qui n'aurait pas d'ennemis, et une place illimitée, produirait une tonne de descendants en quinze jours. Sa descendance atteindrait la masse de la Terre en un mois. Incroyable, pour une si petite bête. La nature fait en sorte que cela n'arrive pas, et la paramécie est en équilibre avec l'eau et la nourriture disponibles et ses prédateurs. Ses populations fluctuent, mais elles ne détruiront jamais la planète.
Ne sommes-nous pas plus raisonnables que des paramécies ? Pourtant beaucoup d'entre nous pensent que l'humanité et ses activités économiques doivent croître sans fin. Toujours plus nombreux, toujours plus. Pourtant nous savons bien que les ressources et l'espace sont limités : les forêts tropicales disparaissent, le cycle de l'eau est perturbé, de nombreuses espèces sont menacées, les ressources dont nous dépendons s'épuisent. Nous nous entassons dans un monde appauvri. Pourquoi avons-nous tant de peine à changer d'objectifs, à vivre mieux avec moins, à stabiliser puis réduire la population humaine, à mieux partager pour ne pas gaspiller et à renoncer à certains comportements absurdes (nous pouvons facilement en dresser une liste personnelle) ? Si nous ne le décidons pas nous-mêmes, c'est la nature qui nous l'imposera, brutalement.
Croissance ou décroissance
Croissance ou décroissance
Une alternative erronée et délétère
Philippe Roch *
Les crises qui se succèdent depuis 2007 nous laissent perplexes. Les Etats et l’économie sont devenus dépendants de la croissance, un concept erroné, qui ne tient pas compte des limites du système : la croissance entraîne l’épuisement des ressources naturelles, la pollution de l’environnement, la destruction de la biodiversité, et des disparités sociales criantes : durant les 20 dernières années, l’écart entre riches et pauvres et la précarité ont augmenté dans ¾ des pays de l’OCDE.
Faut-il dès lors prôner la décroissance ?
Dans le monde économique actuel, la croissance et la décroissance se mesurent en référence au produit intérieur brut (PIB), un indicateur comptable des flux financiers (dépenses de consommation, dépenses publiques, exportations nettes et investissements). Le PIB est une méthode mathématique qui ne couvre qu’une petite partie de la réalité économique. Prenons l’exemple d’un arbre fruitier dans votre jardin. Il produit d’excellents fruits, protège et enrichit le sol, fait vivre de nombreux oiseaux et contribue à la beauté de votre quartier. Il n’entre dans le PIB qu’au moment où vous tombez de l’échelle et que vous êtes pris en charge par les services de secours.
Tant que nous restons dans la logique du PIB, nous somme piégés dans l’alternative croissance – décroissance. Dans ce contexte la décroissance provoque des situations intolérables, car elle entraîne le chômage, la baisse des recettes fiscales, l’impossibilité de rembourser les dettes publiques et privées, l’augmentation des charges sociales, la précarité, l’instabilité. Pour sortir de cette alternative délétère il faut inventer un nouveau projet économique, une prospérité sans croissance.
Beaucoup d’activités économiques n’ont pas ou peu d’incidence financière (bénévolat, entraide, travail domestique, jardinage, bricolage), ou ne peuvent être réduites à des questions purement financières, qui ont pourtant une forte influence sur le marché : la confiance, le plaisir d’aller au travail, la responsabilité, l’éthique. Ces valeurs n’entrent pas actuellement dans le calcul du PIB. L’économie elle-même ne couvre qu’une petite partie des activités humaines, et l’humanité est une toute petite partie de la nature, dont elle dépend pour sa survie et pour son économie.
L’extraordinaire dynamisme de l’ensemble de la nature est en phase stationnaire. Les 10 millions de milliards de fourmis qui vivent sur la planète, dont le poids est supérieur au poids des humains, nous donnent un parfait exemple de société écologique. Elles mangent davantage que nous et déplacent des montagnes, mais elles ne laissent aucun déchet qui ne soit immédiatement absorbé par la nature. Nos cousines ont développé une activité économique mondialisée, d’une dimension équivalente à celle des humains, sans qu’elle aboutisse aux destructions qui caractérisent la civilisation industrielle.
Croissance et prospérité n’ont pas la même signification ; les éléments constitutifs de la croissance (matérialisme, consommation, accumulation, compétition, paraître, besoins relatifs) sont même souvent contraires à la prospérité (épanouissement, autonomie, acceptation sociale, solidarité, espace et temps libres). La prospérité n’est pas que matérielle ; elle a à faire avec le sens de la vie, avec des dimensions qui nous dépassent, des valeurs qui nous soutiennent. Une prospérité écologique recherche l’équilibre, l’épanouissement, le bien-être, plutôt qu’une croissance illusoire et destructrice.
Il est possible d’amorcer immédiatement, progressivement ce changement, par une transition écologique. L’activité économique devrait être mesurée avec des instruments qui tiennent compte de l’ensemble des ressources naturelles et humaines dont elle dépend, dans l’esprit du Bonheur national brut inventé par le Bhoutan. Elle pourra être mieux maîtrisée par une internalisation des coûts externes (taxe préalable d’élimination, taxes sur l’énergie et le CO2), la transparence des origines et des modes de production, la responsabilisation des Conseils d’administration quant aux conséquences écologiques de leurs décisions (le cas Eternit en Italie ouvre une voie), des structures économiques plus proches des citoyens (davantage de pouvoir aux assemblées d’actionnaires, des voix critiques dans les conseils d’administration), et la lutte contre le dumping environnemental et social grâce à des normes internationales et à la discrimination des produits à la frontière pour favoriser les modes de production responsables.
Dans le domaine technique desproductions peuvent être florissantes en état stationnaire, commel’installation de panneaux solaires (le soleil envoie en une heure sur la surface de la terre autant d’énergie que tout ce que l’humanité consomme en un an), l’isolation thermique des bâtiments avec des matériaux naturels (pas de fenêtres en PVC !), une agriculture biologique, le maintien des écosystèmes générateurs d’eau et d’air purs, et des productions industrielles cent pour cent recyclables. La collectivité doit veiller à la transmission par l’éducation et les media des valeurs civiques (respect, solidarité, coopération, humilité, sobriété, joie de vivre), et imposer un cadre moral à la publicité.Il est possible de commencer par nous-mêmes, dans nos achats, nos activités, notre mobilité, en nous exprimant, en témoignant, en votant, et en rayonnant notre joie de vivre dans la simplicité.
Il vaut mieux s’y mettre avant que la nature nous impose un changement brutal, ou élimine la moitié de la population par une bonne grippe. D’ailleurs la situation difficile que connait l’Europe suscite unretour à la terre (en Grèce), à la communauté (en Espagne) pour survivre à la crise, et une multiplication d’expériences collectives autonomes (SEL) pour sortir du cercle infernal de la croissance, de l’endettement et de la dépendance. Ces expériences, qui concernent tant les régions rurales que les villes (éco-quartiers), sont annonciatrices de nouveaux modes de vie plus sobres, plus simples, plus heureux, prémices d’une prospérité écologique.
*Philippe Roch, Dr en biochimie, est l’ancien directeur de l’Office fédéral de l’environnement, des forêts et du paysage.
Paru dans le journal Le Temps du 3 septembre 2012, p. 11
Esprit de Rio, où es-tu ?
Esprit de Rio, où es-tu ?
Philippe Roch[i]
Le Sommet de la Terre de 1992 avait marqué un tournant pour l’environnement : les Etats acceptaient de se retrousser les manches pour œuvrer au développement durable. Le bilan est très mitigé. Et le sommet qui s’ouvre dans une semaine affichera des ambitions bien plus modestes.
En rassemblant les Chefs d’Etat et de gouvernement du monde entier autour du projet de développement durable, le Sommet de la Terre de 1992 a marqué un tournant historique dans les politiques de l’environnement, de l’économie et du développement. Vingt ans plus tard, à quelques jours de l’ouverture de la Conférence internationale sur le développement durable, Rio + 20, que reste-t-il de Rio 92 ?
Jamais auparavant on n’avait aussi clairement compris que la protection de l’environnement, une économie florissante et une répartition équitable des ressources sont les trois conditions liées d’une prospérité durable. Le développement durable, défini par la Commission mondiale sur l’environnement et le développement, qui a travaillé à Genève entre 1983 et 1987, comme « un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs » est un concept assez flou pour permettre une convergence entre points de vue au départ très éloignés. Pour beaucoup Rio fut une révélation, qui a généré un esprit neuf et enthousiaste. Le succès historique du Sommet de la Terre doit beaucoup à l’engagement des mille cinq cents organisations non gouvernementales, qui ont conduit un forum parallèle auquel ont participé dix-sept mille personnes, à la participation d’éminents représentants de compagnies privées, et à la personnalité exceptionnelle de Maurice Strong, homme d’affaires canadien, premier directeur du programme des Nations-Unies pour l’environnement, humaniste et pionnier de l’écologie mondiale, incarnation vivante du développement durable, qui a présidé à la préparation et au déroulement du Sommet.
Le Sommet de la Terre a adopté l’agenda 21, quarante chapitres qui couvrent les principaux enjeux de nos sociétés : lutte contre la pauvreté, modes de consommation, démographie, santé, climat, agriculture, forêts, diversité biologique, gestion de l’eau, chimie, déchets, gouvernance et démocratie. Beaucoup avec moi ont espéré que Rio 92 initierait un changement de paradigme, de nouvelles priorités politiques et économiques, plus équilibrées, moins destructrices de ressources, plus justes. Il y a bien eu un début dans ce sens, avec les Conventions sur la biodiversité et sur le climat signées à Rio et le Fonds pour l’environnement mondial, qui finance à raison de cinq cents millions de dollars par an des projets dans les domaines des conventions environnementales. En Suisse la collaboration entre les offices fédéraux de l’économie, de l’environnement, des infrastructures et du développement s’est intensifiée. C’est dans cet esprit que j’ai pu préparer la loi sur le CO2, en collaboration avec le Vorort (aujourd’hui économie suisse), et que nous sommes allés à Kyoto (1997), puis à Marrakech (2001), pour arracher les premiers éléments de la mise en œuvre de la Convention sur le climat. Mais il a vite fallu déchanter. Aujourd’hui Kyoto est mort, et la Convention sur le climat à l’arrêt, pendant que les émissions de gaz à effet de serre ne cessent d’augmenter, et que la diversité biologique régresse sous la pression des déforestations, de la désertification, des pollutions, de l’agriculture intensive et de la surexploitation des mers. Les objectifs du millénaire de l’Assemblée générale de l’ONU, en 2000, puis la conférence de Johannesburg en 2002, n’ont fait que répéter, d’une manière édulcorée, les objectifs adoptés en 1992. Certains peuvent penser que cela est dû au fait que les questions environnementales étant mieux intégrées dans les autres politiques, ce qui était nouveau en 1992 est devenu la règle. Il suffit d’observer les programmes politiques actuels, et la récente campagne présidentielle française, pour constater que la question du développement durable n’est plus du tout prioritaire. Les difficultés financières dans lesquelles une économie néolibérale et des gouvernements se sont empêtrés ont rappelé les vieilles recettes de la croissance du produit intérieur brut (PIB), en oubliant que la justice sociale, la nature, les écosystèmes et l’environnement sont le fondement de toute prospérité durable
La conférence Rio + 20 annonce dès le départ des objectifs modestes[ii]. Il ne s’agit plus de répondre aux grands défis qui guettent la planète, ni de proposer un changement de paradigme pour rétablir un équilibre entre l’humanité et la nature. L’économie verte que la Conférence espère promouvoir consiste à développer des techniques efficaces et renouvelables, et à créer des emplois dits verts. Le projet de résolution réaffirme les principes généraux inlassablement répétés depuis 1992, sans aucune ambition nouvelle. Sans négliger l’importance d’améliorer les techniques pour produire autant, ou davantage, en consommant moins de ressources et d’énergie, il faut constater que tout progrès technique s’accompagne d’une augmentation de la consommation, largement promue par les politiques économiques (consommez plus pour relancer l’économie et l’emploi !), et que cet effet rebond conduit finalement à une consommation supplémentaire de ressources, à des émissions augmentées de gaz carbonique, de particules fines et de produits chimiques, à une dégradation de la nature et une perte de biodiversité.
Il ne s’agit donc pas de bouder Rio + 20, mais il faut être conscient que même si elle est un succès, cette conférence n’amorcera pas les changements profonds dont notre société a besoin pour atteindre les objectifs du développement durable : la satisfaction des besoins essentiels, l’épanouissement des sociétés, le partage, sans dégradation de l’environnement. Cet objectif suppose des changements profonds, une véritable transition écologique, incompatible avec la fuite en avant que provoque l’idéologie de croissance économique et démographique continue qui domine aujourd’hui.
[i]Philippe Roch, docteur en biochimie, a été le directeur de l’Office fédéral de l’environnement, des forêts et du paysage de 1992 à 2005. Il a fait partie de la délégation suisse à Rio en 1992, avec le Conseiller fédéral Flavio Cotti.
Paru dans le Journal Le Temps, le 12 juin 2012, p. 12
Rencontres avec Philippe Roch
Fraternité de Pirassay
Rencontres spirituelles et méditations. Pour vous inscrire à la Fraternité de Pirassay, et recevoir les programmes d’activités détaillés, envoyer vos coordonnées et motivation à phr@pirassay.ch
La fraternité informe régulièrement sur ses activités sur Facebook, Groupe Nature et spiritualité :
https://www.facebook.com/groups/Philippe.Roch
ONU Genève
17 avril
Colloque international
Convergence des consciences vers les ODD : chemins et leviers Informations et inscription : https://reg.unog.ch/event/23949/
Baulmes
21 avril
Ma spiritualité au naturel Conférence, marche méditative, méditation dans la nature Informations et inscription :
Le salon du livre
Genève
Table ronde
La scène du Moi
Vendredi 27 avril
Détails : http://www.salondulivre.ch/fr/
Château de Bossey
1 – 3 juin 2018
La place et la responsabilité de l’humain dans la nature
Présentation :
https://brotfueralle.ch/content
Inscription :
https://form.jotformeu.com/80294320879362
site transition intérieure :
https://painpourleprochain.ch/transition-interieure